La France d’après-guerre s’est construite dans le mythe résistancialiste, c’est-à-dire que le mythe d’une France unie et résistance face à l’Occupation allemande s’est imposé dans les mémoires communes pendant des décennies.
Et ce jusqu’à ce que des travaux d’historiens rétablissent peu à peu la vérité sur le mouvement de la Résistance contre l’occupation et son ampleur en France.
Cette croyance commune en une France unifiée dans le combat contre l’Allemagne nazie a permis de reconstruire une France meurtrie par les années de guerre, brisée aussi bien économiquement que mentalement.
Ainsi, le Général de Gaulle dès la Libération de Paris proclame en haut de l’hôtel de ville en 1944 :
« Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris Libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France entière, de la vraie France, de la France éternelle. »
Refouler la mémoire de Vichy et de la Shoah, comme celle du massacre des minorités en France a permis de construire après-guerre une histoire glorieuse de la France Résistante face à l’ennemi nazi. Dans un effort de reconstruction d’une unité et d’une fierté nationale, la mémoire collective a été modifiée.
La « mémoire » peut être définie comme la présence sélective des souvenirs du passé dans une société donnée. Elle est souvent plurielle et conflictuelle, au sein d’une même nation (entre plusieurs communautés, zones géographiques, sexe, âges) mais également entre différents pays.
Les groupes qui portent les mémoires cherchent une reconnaissance dans le présent de leur vision des évènements, créant des conflits profondément encrés dans certaines communautés.
L’historien Olivier Wieviorka parle ainsi en 2010 d’une « mémoire désunie ».
Mais quelles sont les conséquences d’une telle « mémoire désunie » au sein d’un même pays, ou au sein de la communauté internationale ?
En France, le régime de de Vichy ( le gouvernement français au moment de l’Occupation) a contribué à la déportation de 75 000 juifs dans les camps. Ce n’est qu’à partir des années 1970, à la mort du général de Gaulle et des nouvelles générations n’ayant pas connu la guerre que la collaboration active de la France dans la Shoah a été accepté dans les mémoires collectives.
Pourtant ce n’est qu’en 1995 que le président de la république reconnait officiellement la responsabilité de la France dans le génocide.
Le chemin en France pour construire une mémoire commune reflétant la réalité historique a été long et périlleux, il a pris plus de 50 ans et est toujours une question d’actualité.
Cependant, le long chemin entamé par les minorités touchées par la désinformation collective pour que leur mémoire soit reconnue est un combat permanent, qui repose sur un équilibre fragile.
Les femmes de réconfort et l’île de Dokdo, des mémoires parallèles entre le Japon et la Corée du Sud.
La Corée du Sud a souffert et souffre toujours du même problème de conflit de mémoires. Après la mise sous tutelle de la Corée par le Japon, la culture coréenne connait une forte répression : interdiction de parler, de lire ou d’écrire coréen en faveur du japonais, travail forcé, emprisonnement.. Le Japon occupe la Corée pendant 35 ans (1910-1935), jusqu’à la chute de l’Empire Japonais à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le Japon et la Corée ont des mémoires très différentes de l’Occupation.
Les femmes de réconforts (« confort women ») étaient des femmes asiatiques, surtout coréennes et souvent mineures soumises à l’esclavage sexuel et livrées à l’armée impériale japonaise. Le nombre de victimes oscille selon les organisations et les gouvernements entre 200 000 et 400 000 esclaves.
Le Japon n’a pourtant jamais présenté des excuses aux groupes concernés, déclenchant des vagues d’indignation en Corée du sud. Une protestation publique ayant lieu tous les mercredis à Séoul devant l’ambassade du Japon depuis 1992 a pour but que le gouvernement japonais reconnaisse les faits.
L’île de Dokdo au milieu de la mer de l’Est entre la Corée et le Japon est un autre sujet de controverse entre les mémoires Coréennes et Japonaises.
Cette petite île est la première à être tombée sous l’armée japonaise impériale, la renommant sous l’occupation par un nom japonais « Takeshima ». Cependant, après que la Corée ait retrouvé son indépendance et la souveraineté de son territoire, le Japon revendique toujours à ce jour l’île de Dokdo comme une part de son territoire.
En 2014, 75% des livres scolaires japonais écrivent que ‘La République de Corée occupe Takeshima (Dokdo) illégalement’.
Les mémoires d’une communauté sont complexes. Ici, les mémoires entre la Corée et le Japon reflètent d’un passé commun meurtri par les guerres et l’occupation. Réécrire l’histoire, ou créer une mémoire collective qui diffère de la réalité historique est un procédé récurrent qui permet à une nation de se regrouper derrière un souvenir commun après des évènements tragiques comme une guerre.
Cependant, reconnaitre un fait historique qui a touché profondément une communauté à un temps donné permet à un peuple de se reconstruire. La France a en 50 ans et après la lutte des communautés juives reconnu son implication dans la Shoah.
Le Japon est sur la voie de reconnaitre sa responsabilité à l’égard des « femmes de réconfort » mais la question de l’île de Dokdo est toujours une question virulente, malgré l’insistance de la Corée du Sud.